La ballade de Lénore est un long poème allemand écrit par Gottfried August Burger en 1773. C'est Gérard de Nerval qui le traduisit en français en 1830.
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Lénore : les morts vont vite !, Ary Scheffer, 1830, Lille |
Ce poème raconte l'effroyable histoire de Lénore, une jeune femme dont le fiancé chevalier est parti guerroyer. Elle se languit de son retour.
Lénore se lève au point du jour, elle échappe à de tristes rêves : « Wilhelm, mon époux ! es-tu mort ? es-tu parjure ? Tarderas-tu long-temps encore ? » Le soir même de ses noces il était parti pour la bataille de Prague, à la suite du roi Frédéric, et n’avait depuis donné aucune nouvelle de sa santé.
Quand la guerre est enfin terminée, que les traités de paix sont signés, les combattants regagnent leur foyers. Mais pas Wilhelm. Lénore est folle d'angoisse.
Elle parcourt les rangs dans tous les sens ; partout elle interroge. De tous ceux qui sont revenus, aucun ne peut lui donner de nouvelles de son époux bien aimé. Les voilà déjà loin : alors, arrachant ses cheveux , elle se jette à terre et s’y roule avec délire.
Lénore pleure longuement dans les bras de sa mère, accablant Dieu de ses plaintes jusqu'au parjure.
— » Oh ! ma mère , qu’est-ce que le bonheur ? Ma mère, qu’est-ce que l’enfer ?….. Le bonheur est avec Wilhelm, et l’enfer sans lui ! Éteins-toi, flambeau de ma vie, éteins-toi dans l’horreur des ténèbres ! Dieu n’a point de pitié…. Oh ! malheureuse que je suis ! »
La nuit même, un cavalier lui rend visite. Dans son armure, Wilhelm lui revient et propose de l'emmener avec lui. Elle exprime des doutes mais il la presse avec cette fameuse phrase (en gras).
— » Hélas ! comment veux-tu que nous fassions aujourd’hui cent lieues, pour atteindre à notre demeure ? Écoute ! la cloche de minuit vibre encore. — Tiens ! tiens ! comme la lune brille !…. Nous et les morts, nous allons vite ; je gage que je t’y conduirai aujourd’hui même.
Leur terrible voyage commence par cette strophe :
Oh ! comme à droite, à gauche, s’envolaient à leur passage, les prés, les bois et les campagnes ; comme sous eux les ponts retentissaient ! « — A-t-elle peur, ma mie ? La lune brille….. Hurra ! les morts vont vite. A-t-elle peur des morts ? — Non….. Mais laisse les morts en paix !
Cette strophe, véritable refrain, rend ensuite compte de leur vitesse irréelle en montrant leur environnement qui s'envole et disparaît de plus en plus et s'accorde avec un accroissement de la peur de Lénore, qui continue à ne pas vouloir entendre parler de morts. Ils arrivent d'abord à un endroit hanté de monstres et de morts, auxquels s'adresse Wilhelm. Entre les refrains, le reste de leur chevauchée infernale est ainsi rythmée par les rencontres macabres.
― » Tiens ! tiens ! vois-tu s’agiter, auprès de ces potences, des fantômes aériens, que la lune argente et rend visibles ? Ils dansent autour de la roue. Çà ! coquins, approchez ; qu’on me suive et qu’on danse le bal des noces….. Nous allons au banquet joyeux. »
Ils arrivent enfin à un cimetière, où le chevalier montre son vrai visage.
Ah ! voyez !… au même instant s’opère un effrayant prodige : hou ! hou ! le manteau du cavalier tombe pièce à pièce comme de l’amadou brûlée ; sa tête n’est plus qu’une tête de mort décharnée, et son corps devient un squelette qui tient une faux et un sablier.
Le poème s'achève avec une danse macabre, qui prend au piège la pauvre Lénore. Simplement coupable, au fond, de désespoir.
Et les esprits, à la clarté de la lune, se formèrent en rond autour d’elle, et dansèrent chantant ainsi : « Patience ! patience ! quand la peine brise ton cœur, ne blasphème jamais le Dieu du ciel ! Voici ton corps délivré….. que Dieu fasse grâce à ton âme ! »
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La ballade de Lénore, Horace Vernet, 1839, Nantes |
On retrouve dans ce poème l'attrait romantique pour le monde médiéval, mais aussi l'influence de la littérature gothique anglaise. Un monde profondément inquiétant est ici dépeint, un monde où les bases ne sont plus sûres. Le fantastique est le revers du rationalisme des Lumières, les morts s'immiscent dans le réel et la religion a des impacts directs sur le monde des hommes.
Une autre caractéristique romantique de cette ballade est l'empreinte nationaliste. Les personnages portent des noms issus du folklore germanique, enracinant l'histoire dans un passé particularisé que le romantisme oppose à l'universalisme des Lumières. Si le poème est écrit en 1773, ce n'est qu'un an plus tard que Herder publie son ouvrage controversé
Une autre philosophie de l'histoire, dans lequel il soutient l'existence d'un "génie national" (Volksgeist) propre à chaque peuple.