En 1925, Delacroix voyage à Londres et assiste à une représentation de
Faust. D'après sa correspondance, celle-ci l'a beaucoup marquée. Il s'aperçoit des possibilités graphiques qu'offre ce mythe, hautement romantique. Le Mal y acquiert une profondeur particulière. Dès 1828, Sautelet publie une édition française du
Faust de Goethe illustrée par 19 lithographies de Delacroix. Voyant celles-ci, l'auteur germanique lui-même exprime son admiration : "Mr Delacroix a surpassé ma propre vision, et les lecteurs trouveront tout ceci bien plus vivant et de meilleure qualité que tout ce qu'ils ont pu imaginer" (
Conversation entre Goethe et Eckermann).
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Méphistophélès dans l'étude de Faust, Delacroix, 1827-28, Wallace Collection (London) |
Cette grande peinture montre le moment crucial : le sujet de la toile est autant l'apparition du démon que le pacte en lui-même. La scène est hautement théâtralisée, comme le souligne la toile rouge sur la droite, véritable rideau. La gestuelle est également très marquée, les visages et les postures sont très expressifs. La main levée de Faust montre sa prétention à contrôler l'être en face de lui, son orgueil devant les pouvoir qu'il croit être désormais les siens. Méphistophélès, quant à lui, a le privilège de la taille et le regarde de haut. Nulle peur sur son visage, ses yeux sont étroits et devraient inspirer la méfiance. Sa main droite est une menace, posée sur le pommeau de l'épée, mais il désigne en même temps une tache blanche sur son sein. Sans doute une page, que Faust doit signer pour que le pacte soit scellé. Le menace est sensible non seulement dans le personnage de Méphistophélès, mais aussi dans l'encombrement hasardeux au-dessus des deux contractants. On a peine à comprendre comment cet entassement peut tenir en équilibre, l'étagère pourrait se rompre à tout moment et écraser le petit Faust, dont le bras levé peut aussi être compris comme une tentative de se protéger. Sur l'étagère, on peut notamment distinguer un crâne, un sablier... Autant de symboles classiques utilisés dans les vanités, et qui répondent au grand miroir encadré d'or derrière Méphistophélès.
Mais si Delacroix utilise ici la couleur, jouant surtout avec le rouge et l'obscurité, ses lithographies représentent les scènes du mythe d'une autre façon.
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Première rencontre entre Faust et Marguerite, 1828, Delacroix |
La technique de la lithographie permet à Delacroix d'insister sur le dialogue entre lumière et obscurité. Ce qui répond à l'antinomie bien / mal, au coeur d'un mythe comme celui de
Faust. Cette image montre ainsi que la tendre Marguerite est principalement en blanc, tandis que Méphistophélès à droite est tout en noir. Faust, quant à lui, n'est que partiellement gagné par le mal. On pourrait penser qu'il ne s'agit que d'un jeu d'ombre. La vierge sculptée étant dans l'obscurité, Méphistophélès est de même obscur parce qu'il serait également dans l'ombre, non touché par le soleil. Cependant, on peut remarquer que son ombre est visible. Il est donc en plein soleil, mais reste ténébreux.
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Méphistophélès dans les airs, 1828, Delacroix |