Le monde que l'art propose à
notre entendement est représenté par l'œuvre, qui concentre la
multiplicité et la variété des interprétations mais aussi des
émotions. Ces dernières permettent en effet d'assigner telle ou
telle signification à l'oeuvre, c'est-à-dire donc de participer à
la construction de tel ou tel monde de sens. Selon les significations que le
spectateur donne à une œuvre, le monde de sens qu'il partage avec
ce support matériel est façonné différemment. Le partage peut
alors se comprendre dans le sens d'une association : les
spectateurs dans leur ensemble se partagent la tâche de construire
le monde donné par l'oeuvre, le monde à la base duquel est
l'oeuvre. C'est-à-dire que celle-ci est la fondation matérielle
d'un monde de sens, construit par le croisement entre le dialogue de
l'oeuvre à l'individualité et l'addition des nombreuses, peut-être
innombrables, réactions différentes face à l'oeuvre. C'est la
conjugaison, l'association de ces interprétations et ressentis face
à l'oeuvre qui donnent sa profondeur et son intégrité au monde de
sens engendré par les dialogues d'une œuvre avec ses spectateurs,
auditeurs, lecteurs. Par conséquent, il faudrait voir le monde donné
par l'oeuvre d'art comme un monde en plusieurs dimensions, quadrillé
par les interprétations et les relations de communications
oeuvre-spectateur permettant de parvenir à de nouveaux sens
enrichissant ce monde.
Par exemple, Jacques Darriulat dans son essai De
l'interprétation de l'oeuvre d'art, donne à comprendre les
différentes recettes théoriques à disposition pour interpréter,
traduire une œuvre. Il y aurait une conjugaison notamment entre deux
regards sur l'oeuvre : d'un côté l'herméneutique de l'oeuvre
d'art recherche sa signification objective, en s'appuyant notamment
sur l'iconographie, la connaissance savante des symboles, et sur
l'iconologie, la recherche d'une signification (un message) que porterait l'oeuvre. D'un autre côté, la phénoménologie de l'oeuvre
d'art s'attache à « penser que toute la beauté de l'oeuvre
est contenue dans l'acte de sa manifestation, dans sa pure présence
sensible ». Une même oeuvre soumise à ces divers regards théoriques s'enrichit déjà de plusieurs couches de sens, proposant à l'entendement une densité que n'aurait pas une oeuvre à l'interprétation univoque.