jeudi 6 mars 2014

L'épaisseur de l'oeuvre d'art


Le monde que l'art propose à notre entendement est représenté par l'œuvre, qui concentre la multiplicité et la variété des interprétations mais aussi des émotions. Ces dernières permettent en effet d'assigner telle ou telle signification à l'oeuvre, c'est-à-dire donc de participer à la construction de tel ou tel monde de sens. Selon les significations que le spectateur donne à une œuvre, le monde de sens qu'il partage avec ce support matériel est façonné différemment. Le partage peut alors se comprendre dans le sens d'une association : les spectateurs dans leur ensemble se partagent la tâche de construire le monde donné par l'oeuvre, le monde à la base duquel est l'oeuvre. C'est-à-dire que celle-ci est la fondation matérielle d'un monde de sens, construit par le croisement entre le dialogue de l'oeuvre à l'individualité et l'addition des nombreuses, peut-être innombrables, réactions différentes face à l'oeuvre. C'est la conjugaison, l'association de ces interprétations et ressentis face à l'oeuvre qui donnent sa profondeur et son intégrité au monde de sens engendré par les dialogues d'une œuvre avec ses spectateurs, auditeurs, lecteurs. Par conséquent, il faudrait voir le monde donné par l'oeuvre d'art comme un monde en plusieurs dimensions, quadrillé par les interprétations et les relations de communications oeuvre-spectateur permettant de parvenir à de nouveaux sens enrichissant ce monde.
Par exemple, Jacques Darriulat dans son essai De l'interprétation de l'oeuvre d'art, donne à comprendre les différentes recettes théoriques à disposition pour interpréter, traduire une œuvre. Il y aurait une conjugaison notamment entre deux regards sur l'oeuvre : d'un côté l'herméneutique de l'oeuvre d'art recherche sa signification objective, en s'appuyant notamment sur l'iconographie, la connaissance savante des symboles, et sur l'iconologie, la recherche d'une signification (un message) que porterait l'oeuvre. D'un autre côté, la phénoménologie de l'oeuvre d'art s'attache à « penser que toute la beauté de l'oeuvre est contenue dans l'acte de sa manifestation, dans sa pure présence sensible ».  Une même oeuvre soumise à ces divers regards théoriques s'enrichit déjà de plusieurs couches de sens, proposant à l'entendement une densité que n'aurait pas une oeuvre à l'interprétation univoque.