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Jacques Rigaud, 1710, Le château de Versailles, cour de la Chapelle au début du XVIIIe siècle |
(Jules Hardouin-Mansart pour les
plans d'architecture, Charles de la Fosse, Jean Jouvenet, Antoine
Coypel, Bon et Louis de Boullogne pour les peintures, Jean de
Lapierre et François-Antoine Vassé pour les sculptures intérieures
– achevée entre 1708 et 1710)
Circonstances de création et
d'usage
En 1682, une chapelle dans le salon d'Hercule avait été
édifiée mais s'était révélée trop exiguë. Le grand chantier
commence donc en 1689, dirigé par Hardouin-Mansart jusqu'à sa mort
en 1708. L'édifice était déjà à l'origine une chapelle, mais
palatine, c'est-à-dire publique. Les travaux l'ont donc adaptée à
l'usage particulier de la Cour et du roi. Chaque jour, généralement
le matin à 10 heures, la Cour s'y réunit pour assister à la messe
du roi. Celui-ci et sa famille sont dans la tribune royale. Les dames
de Cour occupent les tribunes latérales. Les officiers et le publics
sont dans la nef, où le roi ne descend qu'à l'occasion des fêtes
religieuses pour communier, des cérémonies comme celle de l'ordre
du Saint-Esprit, des baptêmes et des mariages d'Enfants de France.
Une architecture en trois
niveaux distincts
On peut distinguer trois niveaux qui composent la
chapelle. Le premier étage, au rez-de-chaussée, comprend la nef et
un déambulatoire, sur lequel donnent neuf autels secondaires,
surmontés de retables peints ou de reliefs de bronze. La nef et le
déambulatoire sont séparés par une succession d'arcades en plein
cintre, dont une est comblée. L'autel s'y adosse et le maître-autel
remplit l'espace de l'arcade. Ce maître-autel est un bas-relief en
bronze doré figurant la déploration du Christ mort. Cet or se
détache sur ce niveau, essentiellement blanc. Les parois sont
revêtues de pierres de liais (carrière de Saint-Leu d'Esserent). Le
sol est un pavement de marbre polychrome, les pierres sont réparties
de façon géométrique.Le deuxième niveau correspond à la tribune
royale. La balustrade est composée de balustres de bronze doré
surmontées d'une main courante en marbre. Une double succession de
colonnes cannelées surmontées par des chapiteaux aux motifs
végétaux ordonnent cet espace et prolongent les piliers d'arcade du
niveau inférieur. Les parois sont encore blanches et sculptées.
L'orgue est en partie en bronze doré, prolongeant la richesse du
maître-autel. Le plafond de la tribune est peint, participant au
programme iconographique de la voute. Celle-ci constitue le troisième
niveau. La voute est entièrement peinte, partiellement en
trompe-l'oeil, prolongeant une architecture imaginaire qui s'ouvre
sur les cieux divins. Dix fenêtres créent des ouvertures
lumineuses.
Un programme iconographique
partagé entre divers artistes
La sculpture, en monochromie blanche,
occupe une grande part du programme iconographique intérieur de la
chapelle. La réalisation des 183 trophées ecclésiastiques est
confiée à Jean de Lapierre et François-Antoine Vassé. Ces
trophées ornent les parois, il s'agit de symboles papaux,
archiépiscopaux, liturgiques,... Les piliers de la nef représentent
chacun un épisode de la Passion. Au rez-de-chaussée seul, il y a
114 trophées en relief. La peinture est dédiées aux parties
supérieures, elle n'apparaît comme corps du programme
iconographique que sur le plafond de la tribune pour s'épanouir sur
la voute. Dans la tribune, il s'agit d'une représentation des
apothéoses des douze apôtres, peints par les frères de Boullogne.
Dans le cul-de-four de l'abside, Charles de la Fosse peint la
Résurrection. La partie centrale de la voute est due à Antoine
Coypel, qui y représente les anges portant les attributs de la
passion, de chaque côté de Dieu le Père dans Sa gloire. Au dessus
de la tribune royale, Jean Jouvenet peint la Pentecôte. La partie
centrale et la Pentecôte intègrent toutes deux l'espace pictural
dans la chapelle par un prolongement fictif de l'architecture.
Une utilisation de la couleur
qui introduit un premier rapport hiérarchique, la couleur comme
privilège divin.
Si la couleur est à première vue absente des
niveaux inférieurs, elle éclate dans toute sa splendeur sur la
voute, qui désigne le séjour divin. Le bleu s'y marie à l'or, qui
est dégradé dans les nuances de brun jusqu'au jaune. Le bleu du
ciel est ainsi mis en valeur. Mais cette hiérarchie implique aussi
le roi qui, par son sacre, est lieutenant de Dieu sur terre,
représentant d'ascendance divine. Dans la disposition même du
cérémonial de la messe, l'implication du roi dans l'office, ses
liens privilégiés avec le divin, sont rendus évidents :
immédiatement après le prélat célébrant, le roi était
personnellement encensé par le diacre durant l'offertoire de la
messe, quand il assiste à l'office depuis la nef, son fauteuil ou
prie-dieu est installé directement dans le choeur liturgique, espace
sacré réservé aux clercs. « La chapelle de son palais était
le sanctuaire privilégié où s'affirmait et se réalisait en même
temps son caractère sacré de roi très chrétien. » (Pouvoir
et religion à la chapelle royale de Versailles sous Louis XIV,
d'A. Maral) Ce lien entre le roi et le divin est particulièrement
souligné par l'iconographie. La Pentecôte est peinte au dessus de
sa propre tribune, l'architecture fictive, la rambarde derrière
laquelle se tiennent des personnages, intègre l'espace royal dans le
champ de la représentation, qui inclut une colombe. Le roi se tenait
sans doute juste au dessous d'elle, recevant l'Esprit-Saint
directement de Dieu sans passer par l'autorité d'un clerc. Au niveau
de la tribune, il suffit de lever les yeux pour se sentir en
immédiate proximité avec les royaumes célestes. Au
rez-de-chaussée, ce ciel de couleurs semble loin. Le commun des
mortels, que la pierre blanche environne, doit prêter attention aux
reliefs pour entendre les dessins sur la pierre, il lui faut être
près de la paroi pour la comprendre. La signification de trophées,
dans leur monochromie blanche, lui est donné moins immédiatement
que celle transmise par la peinture colorée de la voute, dont il
perçoit moins les détails que la famille royale.

La pierre : matériau
achrome ?
La majeure partie de la chapelle n'est pas peinte,
mais laisse les pierres apparentes, sans artifice chromatique
supplémentaire, comme si la couleur au sens pictural n'était pas
admise à proximité des hommes. Pourtant, les pierres de liais et
les marbres ont été choisis et importées de loin, leur présence
n'est pas due à la nécessité. Le choix de ces pierres est sans
doute chromatique. La blancheur des revêtements en pierre de liais
n'indique pas une achromie puisqu'elle a été ajoutée à dessein.
Outre le fait que la blancheur souligne l'intensité des couleurs de
la voute par contraste, le blanc est aussi compris en lui-même comme
traduisant une certaine pureté toute religieuse. Cette couleur est
toute ecclésiastique, la fourrure d'hermine est réservée aux
membres du clergé, elle est affichée sur l'étendard du royaume de
Jérusalem, et c'est le choix que fait Jeanne d'Arc pour sa bannière.
Mais c'est aussi la couleur traditionnelle du commandement royal. Les
drapeaux des Six Vieux Corps de l'armée française ont du blanc. Or,
le catholicisme gallican est revendiqué par Louis XIV, en opposition
à ce sujet avec Rome. En effet, le blanc peut aussi être compris
comme couleur de la monarchie française depuis Henri IV, qui avait
adopté le panache blanc pour distinguer les soldats français. Ce
blanc prépondérant dans la chapelle est donc double. A la fois
rappel de la suprématie monarchique et couleur théologique par
excellence, elle purifie les hommes et leur regard montant vers la
voute. Cette pureté du blanc fait écho à l'aspect si lisse du
marbre au sol. Ce marbre lui-même est polychrome, il est rouge,
gris, noir, blanc,... Si l'on considère que la nef était remplie
par les courtisans, assis sur les banquettes, le schéma géométrique
des pierres pourrait peut-être indiquer une place pour chacun, un
ordre à suivre rythmé par les couleurs, comme le plateau d'un jeu
dont le roi pourrait s'amuser à partir de la tribune. Mais dans ce
décor de pierres de liais, le sol semble aussi être un reflet
déformé de la voute, un écho. La structure même du marbre,
regardé de près, évoque un infini aussi profond que la voute
céleste représentée au-dessus. Quand les courtisans se meuvent sur
le marbre, leurs vêtements chatoyants flottants en tous sens, il est
sans doute possible de voir en eux un reflet dégradé des êtres
divins de la voute.
Une couleur qui exprime le
mystère théologique
Si la couleur artificielle peut être comprise
comme porteuse de signification, plus accessible pour la famille
d'ascendance divine que pour le commun réunit dans la nef, ce
qu'elle exprime est sans doute avant tout l'existence du mystère.
Sur la voute, le point central, Dieu le Père dans Sa gloire, est un
véritable éblouissement. Le jeu de lumière empêche de distinguer
les traits divins. Il est tourné vers le bas, un agrandissement
permet la lisibilité de son visage, mais de lui émanent des rayons
diffus, blanc, jaune, qui donnent une impression d'éblouissement.
Certains anges, autours de lui, se cachent le visage ou détournent
les yeux pour se protéger de cette lumière. Cette
même
impossibilité de voir se retrouve dans le maître-autel,
tout en
bronze doré, dont la monochromie scintillante ne laisse pas
distinguer les formes avec certitude.